Culture
Retour20 mars 2023
Dominique Fortier - dfortier@medialo.ca
L’aventure humaine de la francisation à Matane vue par l’enseignante Mélanie Gagné
©Photo Gracieuseté
Mélanie Gagné, enseignante en création littéraire et en francisation.
Étudiante en création littéraire à l’éducation des adultes, Lise Deschênes a entrepris de faire le portrait de son enseignante, Mélanie Gagné, à travers un reportage journalistique.
C’est d’ailleurs Mélanie Gagné elle-même qui avait lancé le défi du reportage humain à ses élèves. Lise Deschênes a alors vu en son enseignante, un sujet parfait pour réaliser le travail demandé. « J’étais intriguée de savoir comment elle fonctionnait lorsqu’elle offrait des cours de francisation aux immigrants. Elle tentait de rejoindre les gens par les réseaux sociaux. Ils se rencontrent et discutent, notamment de leur métier. C’était toute sa démarche qui m’intéressait. »
Ayant suivi des cours d’écriture avec Gérald Tremblay à l’époque, elle a retrouvé cette passion pour les mots avec la formation offerte par Mélanie Gagné. Une fois le reportage complété, Lise Deschênes a eu le plaisir de faire lire son texte à sa nièce Isabelle Beaudin et son conjoint, André Normandeau, tous deux journalistes. Et ledit reportage s’est retrouvé entre les mains de votre humble serviteur. Le voici donc dans son intégralité.
L'aventure humaine de la francisation
par Lise Deschênes
Je me suis inscrite à l’atelier de création littéraire à l’éducation des adultes pour sortir de la solitude. C’est à cette occasion que j’ai fait la rencontre de Mélanie Gagné.
Cette femme d’une voix rassurante et posée nous a amené à découvrir une façon de composer par la créativité et le jeu dans l’émulation d’un groupe de personnes passionnées des mots. C’est aussi dans cette même atmosphère que les cours de francisation où des adultes de différentes origines se retrouvent pour découvrir et apprendre le français. Si vos souvenirs du français retenus dans votre enfance étaient comment on accorde le verbe avec les 6 pronoms personnels, avec des temps simples ou composés au présent, au passé ou au futur,dans plusieurs langues cela ne fonctionne pas nécessairement comme en français, m’explique-t-elle, dans notre entrevue autour d’un café.
Comme au temps de la fondation de la Seigneurie de Matane où se retrouvaient vivants en même temps en harmonie les premiers résidants français, écossais, acadiens, allemands et irlandais, des travailleurs immigrants d’un peu partout convergent au Centre d’éducation des adultes de Matane du Centre de services scolaires des Monts et Marées dans la classe de francisation de Mélanie Gagné dans le respect et le plaisir. C’est ce que j’ai constaté à mon insertion en début de cours, car je voulais en connaître un peu plus sur Mélanie.
C’est en rencontrant des enseignants en francisation qu’elle a développé un intérêt pour ce métier : « Je me disais, ça tellement l’air intéressant et enrichissant, j’aimerais faire ça! » En 2017, Fanny Allaire-Poliquin, du Service d’accueil des nouveaux arrivants de La Matanie (SANAM), a mis en lumière sa formation en étude littéraire et ses aptitudes en l’invitant à devenir enseignante en francisation pour le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). « Au départ, je n’avais qu’une seule étudiante, thaïlandaise. Ça a commencé tout petit.» En 2018, le ministère de l’Immigration, de la francisation et de l’intégration a transféré la francisation au Ministère de l’éducation au service d’enseignement Francisation à l’éducation des adultes.
Avec beaucoup d’émotion à ma question qu’est-ce que l’enseignement t’apporte : « Humainement ça m’apporte tellement choses! Ça m’apporte une ouverture d’esprit que j’avais, mais qui est encore plus grande maintenant. J’apprends des choses sur différentes réalités, cultures et langues des quatre coins du monde. Les étudiants me parlent de leur vie dans leur pays d’origine. J’apprends des choses que je n’aurais même pas pu apprendre en voyageant dans ce pays-là. J’ai accès à des récits de la vraie vie, celle qui est loin des sites touristiques. » Mélanie discute souvent avec ses étudiants des rouages de leur langue, en comparaison avec le français. En ce sens, parler anglais et un peu espagnol est un atout. Ça l’aide à mieux enseigner le français. Elle peut se mettre dans la tête de ses étudiants. Elle a d’ailleurs débuté un cours d’arabe à l’UQAM en janvier dernier.
Cette passionnée de français m’a avoué adorer les mots et leur musicalité ainsi que les langues depuis son tout jeune âge. Cette passion, elle nous la partage lorsqu’elle parle de son travail. Son travail est une véritable richesse pour elle.
Les personnes immigrantes acceptent de vivre en région et d’y travailler de façon permanente ou temporaire. Le cours de francisation est un moment privilégié où Mélanie leur fait découvrir les valeurs québécoises et échange avec eux sur leurs cultures. Elle m’explique que certains vivent parfois un choc culturel, même s’ils sont heureux de vivre ici, puisqu’ils doivent s’adapter au climat, à la façon de vivre, à la langue, etc. C’est déstabilisant. Pour plusieurs, les rencontres et les échanges dans le cours de francisation sont très appréciées parce qu’elles leur permettent de tisser des liens avec d’autres personnes immigrantes et de se faire de nouveaux amis. Aussi, Mélanie invite sur son réseau social des personnes à venir échanger avec ses élèves. C’est surtout cela qui m’a intriguée et m’a amenée à en savoir un peu plus sur Mélanie Gagné et sa façon d’enseigner. D’une élève au départ, elle enseigne maintenant à temps plein à une cinquantaine d’élèves dont quelques-uns reviennent régulièrement afin de compléter leurs connaissances du français.
Cette passion du partage lui vient de ses parents et elle souhaite par son enseignement aller plus loin que le simple accord d’un sujet et d’un verbe. Elle prépare à l’aide de la technologie les différents exercices et des activités parce qu’elle croit qu’on apprend mieux en ayant du plaisir. S’ils aiment la mécanique ou la cuisine, lire des textes sur des sujets que l’on aime est beaucoup plus intéressant en fin de compte.
Du plus loin qu’elle se souvienne, elle aimait la littérature, passait ses étés à lire un livre et celui-ci était un cadeau extraordinaire. Au Cégep de Matane en littérature, son enseignante Élizabeth Verreault lui a donné confiance en son écriture, en la guidant dans la création d’une suite poétique pour un concours littéraire panquébécois. Mélanie se dit une touche-à-tout. Elle aime faire des découvertes et surtout la création expérimentale. Son baccalauréat et sa maîtrise en littérature à Rimouski terminés, son chemin littéraire lui a permis d’essayer plusieurs métiers. Dans le domaine de la communication, soit recherchiste, assistante à la réalisation, réalisatrice et rédactrice pour différents magazines.
Lorsque Mélanie nous parle de ses étudiants, une lumière scintille dans ses yeux : « Enseigner en francisation permet de voyager, en direct de ma classe, de parfaire mes connaissances d’autres langues, entre autres l’espagnol et l’arabe, de même que de rencontrer des personnes passionnantes qui deviennent souvent des amis. » Elle a monté des activités en francisation et les partage avec des enseignants en francisation d’Amqui et de Matane. Elle est consciente des difficultés en région, loin des grands centres. Je la cite : « Il n’y a pas assez d’élèves par niveau donc ce sont des classes de multiples niveaux. C’est un grand défi pédagogique, mais on développe des façons de faire. » Elle croit beaucoup au défi par le jeu et différents outils sont disponibles pour l’aider, des conseillers pédagogiques en francisation à Montréal et au centre des services scolaire aident à cheminer dans la réalisation de la formation en français. Sa grande plus grande joie est de voir ses étudiants se débrouiller en français assez pour trouver un travail, se créer un réseau social et s’intégrer à la communauté. Ça l’émeut à chaque fois.
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