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05 octobre 2020

Dominique Fortier - dfortier@medialo.ca

Récit d'une gaspésienne non-Covid dans le système de santé à l'ère des mesures sanitaires

COVID-19

Lit hôpital

©Photo Pixabay - Parentingupstream

Il n'est jamais agréable de séjourner dans un hôpital lorsqu'on est malade quand la vie est normale. Maintenant imaginez vivre un épisode dans le système de santé en période de pandémie où les mesures sanitaires passent bien avant les besoins du patient.

Jenny n'a pas la Covid-19. Elle est atteinte d'une autre maladie dont les médecins peinent à identifier. Elle est essoufflée à ne rien faire, elle tousse et elle crache du sang. Elle a été hospitalisée une première fois en février dernier à l'hôpital de Rimouski entourée de sa famille. On lui enlève le sang qu'elle a sur les poumons et après deux semaines d'innombrables tests, on la renvoie à la maison avec son petit bonheur et un cocktail de pilules pour les six prochains mois. La stratégie était d'observer si les médicaments allaient avoir raison du mal mystérieux qui l'affligeait et effectuer des tests plus poussés au besoin. Toutefois, un mois plus tard, l'état d'urgence sanitaire est déclaré et il n'est plus question d'investiguer davantage sur la cause de ses symptômes. Le système de santé avait d'autres priorités.

Octobre 2020, à peine quelques semaines après avoir terminé son traitement, Jenny recommence à ressentir les mêmes symptômes que la première fois. Elle a une toux creuse et crache du sang. Elle retourne donc immédiatement à l'urgence de l'hôpital de Matane où on recommence le même traitement qu'en février. Heureusement, elle peut compter sur l'appui de ses proches qui lui rendent visite.

Vendredi matin, elle apprend qu'elle sera finalement transférée à Québec pour subir une bronchoscopie et possiblement une biopsie. À ce stade-ci, impossible de savoir combien de temps durera son séjour à Québec. Sa famille lui prépare donc un sac avec des vêtements de rechanges et quelques bouquins puisqu'elle n'aura pas droit à aucun visiteur là-bas en raison des contraintes sanitaires.

C'est donc un départ vendredi vers 15 h en avion. Elle est un peu nerveuse puisqu'elle n'a jamais pris l'avion de sa vie. « Mais c'est moins cher que l'ambulance », lui précise une infirmière. L'ambulance quitte Matane vers Mont-Joli et l'avion s'envole… pour Baie-Comeau où l'on doit cueillir un autre patient avant de se rendre à Québec. Finalement, on atterrit vers 20 h et elle est amenée à l'urgence en attendant qu'une chambre se libère. Couchée sur sa civière, elle entend les infirmières et préposés discuter entre eux. « Enfin, je suis assigné à l'urgence. J'en pouvais plus d'être dans la zone chaude », laisse tomber l'une d'entre elles.

Ces petites choses qui minent le moral

Jenny s'endort finalement pour être réveillée à 2 h du matin afin de la déménager dans une chambre semi-privée. N'ayant pas de téléphone cellulaire, elle ne peut pas appeler sa famille puisque les appels longues distances ne sont pas autorisés. Heureusement, sa famille réussit à passer à travers le dédale de boîtes vocales pour finalement lui parler. Elle est déjà déprimée. « Je ne sais pas combien de temps je vais passer ici. Ils vont refaire tous les tests que j'ai déjà passé à Rimouski pour s'assurer que rien n'a été manqué la première fois. Ensuite, ils feront la bronchoscopie et possiblement la biopsie. »

Mais pas la fin de semaine. Tout ça ira à lundi. Donc ce transfert hâtif du vendredi n'aura servi qu'à isoler Jenny plus rapidement de sa famille dans une ville où elle ne connait personne. Sa mère l'appelle pour prendre de ses nouvelles. Elle ressent l'angoisse de sa fille et décide de lui louer une tablette électronique qui fait aussi office de télévision. Vous savez, ces tablettes qui permettent d'être en contact avec sa famille par visioconférence et qui sont si chères au gouvernement dans ses publicités?

Jenny reçoit donc sa tablette et tente un appel. Malheureusement, le signal internet est si faible qu'elle peut à peine ouvrir une page web. On oublie donc les visioconférences. « Comme je suis gavée à la cortisone, je dors très peu. Alors j'étais contente d'avoir au moins la télévision que ma mère a loué au coût de 85 $. Mais en temps de Covid, ils ne donnent plus d'écouteurs donc je n'écoute la télé que si ma voisine de chambre écoute la même émission que moi sinon c'est la cacophonie. Et je ne veux pas la déranger quand elle dort », raconte-t-elle.

Jenny se dit alors qu'elle pourra au moins marcher pour se dégourdir les jambes. Mais en temps de Covid, ne circule pas qui veut dans l'hôpital. C'est pourquoi on a installé des affiches sur le mur de leur chambre pour enseigner aux patients comment faire des exercices à même leur lit. On oublie donc immédiatement toute éventualité d'aller prendre une bouffée d'air frais pour se sauver des quatre murs ne serait-ce qu'un instant.

Jenny a faim. Elle a passé 24 heures à jeun depuis Matane au cas où Québec décide de faire des tests dès son arrivée, ce qui ne fut pas le cas. Le repas arrive enfin, mais comble de malchance, on lui sert du poisson. Elle n'aime pas le poisson, ça lui lève le cœur. Heureusement, elle avait prévu le coup en préparant du change pour les machines distributrices. L'idée d'une simple barre de chocolat lui redonne le sourire. Elle se lève donc de son lit et part à la recherche d'une machine distributrice. Elle arrive face à la station des infirmières. « Désolé madame, la machine est à l'autre étage et en raison de la Covid, vous n'avez pas le droit d'y aller », lui répond-on.

Jenny retourne donc bredouille à sa chambre en attendant le prochain repas qu'elle n'aura pas choisi. Elle aimerait bien parler à quelqu'un donc elle prend sa tablette et dix minutes plus tard, elle réussit enfin à ouvrir l'application Messenger et à envoyer quelques mots, de peine et misère.

Aujourd'hui, c'est dimanche. Jenny a passé deux jours à l'hôpital de Matane et deux jours à l'hôpital de Québec. Elle souhaite qu'elle ne sera pas là trop longtemps car son copain ne lui a mis que quelques vêtements de rechange dans sa valise.

Mais c'est dimanche. Donc elle ne saura rien avant lundi. Et il faudra attendre les tests, et ensuite les résultats pour savoir combien de temps encore elle devra rester seule dans sa chambre d'hôpital. Elle est relativement en bonne forme physique et elle est très consciente que d'autres patients souffrent davantage. Elle pense à toutes ces personnes seules qui sont hospitalisées à plus long terme qui n'auront aucun contact avec leur famille, qui n'ont pas d'argent pour se divertir à l'aide d'une télévision sans écouteurs ou d'une tablette avec une connexion approximative. « Lorsqu'on reçoit la visite du médecin, ça serait bien de pouvoir compter sur un proche pour s'assurer qu'on a bien compris. On s'entend que nous sommes dans un hôpital, angoissé et pas au sommet de notre forme. Mais on a droit à personne. »

La patiente n'est pas en danger de mort mais elle est quand même affligée d'une maladie qui s'attaque à ses poumons, l'essouffle et lui fait cracher du sang. Maintenant neuf mois qu'elle vit sur un cocktail de médicaments sans savoir ce qu'elle a, ni si la maladie est appelée à devenir plus virulente. Elle est angoissée. « Je suis déprimée, j'ai peur et je verse quelques larmes. Je ne pleure jamais d'habitude mais là, le temps est long. Je veux voir mes proches », raconte Jenny au bout du fil, qui attend seulement que son séjour d'une durée indéterminée s'achève enfin pour qu'elle puisse enfin serrer son conjoint et ses enfants dans ses bras.

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