Un policier de Matane reçoit une médaille des Nations-Unies pour une mission marquante en Haïti

Les insectes sortant du drain de la douche, les torrents de boues et d’ordures inondant les rues lors de pluies diluviennes, la chaleur humide des Caraïbes, les moustiques, la malaria, les coups de feu quasi quotidiens retentissant dans la nuit, les fumées polluantes s’échappant des vieilles motos surchargées de passagers sans casque, les véhicules incendiés, les cérémonies vaudous, les tremblements de terre, les enfants des rues à la recherche de nourriture, les scènes de crime, les foules en état d’insurrection, les barricades en flammes, les hauts murs de béton et les barbelés protégeant des maisons : entre les 11 avril 2018 et 2019, le sergent Dominique Alain, responsable du bureau des enquêtes à Matane, aura eu l’occasion d’accumuler suffisamment d’images marquantes pour ne pas risquer d’oublier cette expérience unique à laquelle il a voulu se confronter en Haïti. Là-bas, il a pu transférer ses connaissances à plusieurs homologues dans le cadre de la MINUJUSTH (Mission des Nations-Unies pour l’appui à la justice en Haïti), déployée jusqu’en octobre 2019 dans le pays considéré comme le moins riche des Amériques, où près de 60 % de la population vivrait sous le seuil de pauvreté, établi à 1,90 $ par jour.

Une mission de mentorat

Mise en place en octobre 2017, la MINUJUSTH a pour objectif d’accroître les capacités de la police haïtienne, d’améliorer leur formation et leurs conditions de sécurité, de renforcer la justice du pays, la lutte contre la corruption, et de favoriser les droits de l’homme, comprenant les conditions carcérales. D’abord affecté pendant six mois dans la ville de Jacmel, sur la côte sud du pays, puis le reste de l’année à Port-au-Prince, la capitale, le policier matanais était entouré d’autres volontaires, dont plusieurs étaient issus de pays africains francophones.

Pendant un an, bénéficiant d’un congé de deux semaines tous les 60 jours, au quotidien et au côté d’environ 300 autres policiers de l’ONU, son rôle aura été surtout de prodiguer des conseils à des inspecteurs de la police judiciaire haïtienne, un travail de mentorat lui ayant valu la médaille des Nations-Unies, une mince récompense à côté de l’enrichissement personnel inépuisable apporté par cette épreuve.

« Depuis le début de ma carrière, je souhaitais m’engager pour une mission de ce type. En plus de la langue française, Haïti avait aussi l’avantage d’être assez proche du Québec en avion. Avec l’accord de ma conjointe et de nos deux ados, j’ai embarqué dans le projet l’année dernière et, après une formation de trois semaines par la Gendarmerie royale du Canada, des tests physiques, psychologiques et une mise à jour de mes vaccins, je me suis retrouvé en Haïti », raconte M. Alain, à qui son expérience a fait perdre une vingtaine de livres mais emmagasiner des souvenirs pour toute une vie, ainsi que des amitiés indéfectibles.

Métamorphosé par sa mission

En plus de sa perte de poids, son séjour en Haïti aura surtout permis au Matanais de rentrer au pays avec un regard neuf sur la diversité du monde, la disparité des richesses et la capacité de résilience de ces populations que l’état d’extrême indigence n’empêche pas toujours de garder confiance en l’avenir. Selon lui, malgré des moyens tellement réduits par rapport à la Sûreté du Québec, et des conditions de travail bien plus dangereuses, les policiers haïtiens rencontrés, dont certains étaient obligés de trouver un travail supplémentaire pour augmenter leurs revenus, restaient très attachés à leur pays, qu’ils voulaient aider de leur mieux, à travers une mission partagée avec toutes les forces de l’ordre : protéger, servir et venir en aide à leurs concitoyens.

« Après une expérience pareille, qui m’a fait côtoyer certaines personnes dont le seul objectif de la journée était d’assurer leur survie en trouvant de la nourriture, une expérience durant laquelle il m’est arrivé d’être séquestré dans un bâtiment par une foule en colère, seul moment où j’ai vraiment craint pour ma vie, on s’aperçoit qu’on reste enfermé trop souvent dans notre bulle de confort », a réagi le Matanais, qui a profité de son mentorat d’un an pour s’ouvrir aux autres du mieux qu’il a pu, en se montrant curieux de tout, en découvrant de nouveaux mets et en s’initiant à la culture créole.

« C’est aussi toi-même, par ton implication, qui forges ta propre mission », a-t-il mentionné, le cœur encore chargé d’une foule d’anecdotes à partager. Bénéficiant d’un mois de congé pour atterrir, le policier matanais, dont les contacts avec sa famille ont été facilités par les réseaux sociaux, cherche à trouver désormais le moyen de tourner la page de cet engagement mémorable, à travers des conférences qu’il aimerait partager à la rentrée à la polyvalente ou au cégep, afin d’amasser des fournitures scolaires et de venir en aide à un orphelinat.

Un pays en crise

Selon les données de l’ONU, miné par un climat de violences et de pauvreté extrêmes, le pays souffre encore aujourd’hui des conséquences du séisme de 2010, ayant engendré le déplacement d’environ 1,5 M de personnes, dont 37 000 étaient encore réparties dans une trentaine de camps en mars 2018. Un demi-million de civils supplémentaires ont été évacués six ans plus tard en raison de l’ouragan Matthew. Ces catastrophes naturelles ont provoqué la recrudescence du choléra, de la criminalité, mais aussi l’accentuation des tensions sociales, notamment à la suite de la hausse du coût de l’essence. Une vingtaine d’agences, de fonds et de programmes de l’ONU sont présents en Haïti, où le pourcentage de la population ayant accès à de l’eau potable n’était que de 58 % en 2015. La situation alarmante du pays se mesure aussi à un taux d’occupation de 365 % dans les prisons : une surpopulation carcérale accompagnée d’un nombre important de détentions provisoires, avec 75 % des prisonniers en attente de jugement, dont certains adolescents pour des infractions mineures comme le vol d’une noix de coco. Entre janvier et juillet 2018, 372 homicides volontaires et 29 enlèvements ont été répertoriés dans le pays, qui souffre aussi d’une instabilité politique.